Aux origines du qi gong

Depuis deux millénaires, les mouvements lents et les postures du qi gong entretiennent la santé et l’énergie vitale tout en développant force et créativité. 

La Vie: Dominique CasaÿsPublié le 23/04/2021 à 10h26


• GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO tai ji symbol yin yang in china culture

Il y a 2 500 ans, on n’utilisait pas encore le terme « qi gong », chaque école et chaque méthode avaient leur propre dénomination. L’école taoïste, en développant une conception de la vie basée sur l’observation de la nature, des cycles de la vie et des saisons, de la relation harmonieuse entre l’homme et la nature, entre le corps et l’esprit, s’impose vers le VIe siècle av. J.-C. Avec les taoistes se développent, dans la pensée et la culture chinoises, le Yi Jing (le Livre des changements), la médecine, mais aussi la stratégie militaire, ou encore les procédés pour nourrir la vie (le yangsheng).

Il ne s’agit pas alors d’une religion, mais plutôt d’une « voie » qui permet à l’homme d’accomplir sa destinée. Elle vise à libérer l’esprit des soucis et des affaires, à ordonner l’énergie et à suivre la voie céleste. C’est ainsi que le taoïsme enseigne des exercices pour purifier le corps, régulariser l’esprit et la respiration. « Qui peut, s’exerçant au calme, clarifier peu à peu ce qui est impur ? Qui peut s’éveiller peu à peu au calme, et le conserver toujours ? Celui qui s’unit au Dao » (Dao Te Jing).

S’inspirer des animaux

Progressivement, selon cette pensée chinoise qui prend modèle sur la nature, vont se développer des méthodes de mouvements qui cherchent à imiter les animaux et les éléments pour renforcer la santé et accroître la longévité. Un médecin célèbre, Hua Tuo (v. 140-208), crée ainsi le qi gong du Jeu des cinq animaux, où l’on s’inspire du tigre, du cerf, de l’ours, du singe et de l’oiseau pour renforcer des parties du corps ou des qualités qu’on leur attribue.A lire aussiKe Wen : « Je transmets une philosophie de vie »

D’autres méthodes, reproduisant des éléments naturels, connaissent un essor à la même époque, visant à renforcer la santé et à faire circuler l’énergie dans le corps en le purifiant. Ainsi, il y aura des qi gong des oiseaux, de la tortue (devenue, dans la culture chinoise, le symbole de la longévité, qualité attribuée à sa respiration profonde et très lente), de l’arbre, des sons, des couleurs… 

Prévenir les déséquilibres 

Ces mouvements lents et ces postures, soutenus par un travail du souffle et une concentration de l’esprit que l’on pratique au quotidien, ont pour objectif d’entretenir la santé, de renforcer l’énergie vitale et l’équilibre émotionnel. À peu près concomitant au développement du taoïsme, vers le IVe siècle avant notre ère, le Classique interne de l’empereur Jaune (Huangdi Nei Jing), traité fondateur de la médecine traditionnelle chinoise, consacre plusieurs chapitres aux exercices de santé.

On y décrit les bons mouvements (Dao Yin) et les exercices d’automassages (An Qiao) pour faire circuler l’énergie dans le corps, une méthode de respiration (Tu Na) pour capter à l’extérieur la quintessence de l’énergie pure et chasser les énergies perverses ou impures du corps. Ces trois méthodes de base seront dès cette époque utilisées pour prévenir et soigner les maladies, parfois en association avec d’autres techniques de la thérapeutique traditionnelle chinoise.A lire aussiLe Qi Gong réconcilie le corps et l’esprit

N’oublions pas que cette médecine servait d’abord à éviter l’apparition des maladies, à prévenir les déséquilibres qui peuvent affecter l’homme avant que les symptômes n’apparaissent. Ainsi, il y a plus de deux millénaires, les trois principes constituants du qi gong sont-ils déjà définis : régulariser et équilibrer le corps, la respiration et le souffle, et le cœur, ce dernier étant, dans la conception chinoise, le siège de l’esprit.

Renforcer la résistance du corps

Dans une civilisation et une culture où on ne sépare pas le corps de l’esprit, c’est aussi par la voie spirituelle que se construit la santé. Des hommes, moines ou médecins, vont contribuer à créer des ponts entre les mouvements qui font circuler l’énergie et les techniques spirituelles. Au VIe siècle, un moine d’une haute lignée indienne, arrive en Chine et y développe le bouddhisme. Bodhi Dharma (Damo pour les Chinois) séjourne un long moment au monastère de Shaolin.A lire aussiTai-chi et qi gong à l’assaut des douleurs musculaires

Après une longue méditation (on raconte qu’il est resté neuf ans assis face à un mur !), il transmet la technique de la méditation Chan ou méditation de l’Éveil et, parallèlement, met au point et enseigne plusieurs méthodes destinées à améliorer et entretenir la santé des moines, soumis aux rudes conditions de l’époque. Ces exercices serviront de base à un grand nombre de formes de qi gong en mouvement, destinées à renforcer la résistance du corps, et dont l’utilisation très répandue dépassera le cadre du seul bouddhisme. 

Pendant la période très riche correspondant à la dynastie des Tang, du VIIe au Xe siècle, plusieurs artistes et poètes pratiquent les méthodes énergétiques, développant avec elles leur créativité et leur inspiration. Il n’y a pas alors de séparation rigide entre taoïstes, bouddhistes, poètes et médecins. Ils représentent chacun un aspect de la civilisation, elle-même constituée de la réunion de ces courants de pensée. A lire aussiL’art chinois de vivre longtemps

Bai Ju Yi est l’un des trois grands poètes de la dynastie des Tang, avec Tu Fu et Li Bai. Tous trois pratiquaient le qi gong. Bai Ju Yi, malade dans sa jeunesse, réussit grâce aux exercices énergétiques à se rétablir et à éveiller toute sa création poétique. Il consacrera sa vie à la poésie, à la joie partagée avec les amis, aux pratiques de santé du corps et à la méditation. La méditation assise, concentrée sur « le vide », est pour lui le meilleur moyen de chasser les soucis du monde par une paix profonde. Ce qi gong de l’alchimie interne s’étendra ensuite, dès le XIesiècle, jusqu’au golfe Persique, puis au bassin méditerranéen, ces techniques énergétiques se trouvant, dans les civilisations moyen-orientales, reliées aux grandes écoles mystiques. 

La base des arts martiaux chinois

Que ce soit dans le courant bouddhiste, issu du monastère de Shaolin dès le VIe siècle, ou le courant taoïste, développé dans les montagnes du Wudang à partir du XVIIe siècle, toutes les écoles traditionnelles d’arts martiaux vont également utiliser le qi gong. Ce travail énergétique reste une base incontournable des arts martiaux chinois avec trois aspects principaux : un travail statique en position debout, le Zhan Zhuang, visant à tonifier l’énergie, la position maintenue permettant d’augmenter la force interne, l’enracinement des membres inférieurs, et développant la concentration de l’esprit ; une respiration profonde, généralement de type abdominale inversée, qui permet de tonifier davantage l’énergie dans le corps, d’augmenter sa résistance, de favoriser la concentration et la maîtrise de soi ; un travail en souplesse enfin, le Rou Shu.A lire aussi3. Médecine chinoise. Le corps, le cœur et l’esprit comme un tout

Bien plus qu’un simple assouplissement, c’est l’équilibre et l’accord parfait de la souplesse du mouvement avec la manifestation puissante de l’énergie qui est recherché ici : le travail le plus profond et le plus difficile de l’apprentissage de l’art martial qui permet de passer du repos à l’action brusque, de la douceur à la puissance instantanée, de pouvoir agir et réagir en fonction de tous les éléments extérieurs.

Ces qi gong, dès le XIe siècle, influencent le Japon ainsi que les pays du golfe Persique situés le long de la route de la soie. Au Japon, les techniques énergétiques se développent surtout avec l’essor du bouddhisme Chan (Zen). À partir du XVIIIe siècle, les pays occidentaux découvrent ces techniques énergétiques venues de Chine. À la cour de Louis XV, un jésuite, le révérend père Amiot, enseigne le Cong-Fou, une méthode qu’il a découverte lors de son séjour en Chine. Ce sera la première référence en France à une pratique singulière qui, dès cette époque, est assimilée à une méthode de santé.

La reconnaissance par l’État

Il faudra pourtant attendre 1956 pour qu’en Chine même, le docteur Liu Gui Zhen, fonde le premier centre national de qi gong médical à Beidaihe. A lire aussiRésilience à l’orientale : “L’opportunité est inscrite dans la crise“

C’est au docteur Liu Gui Zhen qu’on doit d’avoir désigné sous le nom générique de « qi gong » l’ensemble de ces techniques énergétiques du travail du corps et de l’esprit, génératrices de  santé quotidienne comme d’inspiration pour les créateurs et spirituels ou de force intérieure pour les combattants et qui comptent aujourd’hui 17 millions de pratiquants réguliers dans le monde.

À lire
Entrez dans la pratique du qi gong, de Ke Wen, livre et DVD le Courrier du livre, 24,24 €.
À la découverte du Qi Gong, d’Yves Requéna, livre et DVD Éditions Trédaniel, 24,90 €.
Les Trésors de la médecine chinoise pour le monde d’aujourd’hui,de Liliane Papin et de Ke Wen, le Courrier du livre, 22 €.